Retour et choix pédagogique


Depuis qu’Alexandre était tout petit, j’étais interpellée par son besoin de répondre aux attentes extérieures, pour plaire. Le voir déployer autant d’énergie pour être celui qu’on attendait de lui, malgré la facilité éducative qui pouvait en découler, était perturbant pour moi. Moi qui justement, commençait à prendre conscience que je m’étais oubliée quelque part sur le chemin de l’adulte que j’étais devenue. 

Depuis longtemps donc, je cherchais un modèle pédagogique qui me semblerait vraiment propice à la confiance en soi et source de saine motivation : une motivation profonde, intrinsèque, non dictée par l’autre ou par la société. J’ai alors frappé à la porte des écoles Freinet et Montessori proches de chez moi, mais je n’y ai pas trouvé suffisamment de différence avec le système classique pour justifier un chamboulement de notre organisation. Voire même, j’ai trouvé que ces écoles dénaturaient les propos des pédagogues dont elles se réclamaient, en voulant trop s’adapter aux exigences d’une Éducation Nationale qui m’a toujours fait l’effet d’une vieille grand-mère poussiéreuse et inadaptée aux réalités de l’enfance. J’en avais d’ailleurs moi-même fait les frais, puisque les plus grands enseignements que j’ai tiré de l’école sont l’idée que je ne dois pas être fière de ce que je réussis, que je «peux mieux faire» et que je dois mettre un mouchoir sur mes aspirations pour être celle que l’on attend de moi. J’y ai appris que réfléchir c’est bien, mais à condition de réfléchir à l’intérieur du moule. D’ailleurs, j’y ai aussi appris que tout ce qui sort du moule est « raté » ou « malade ». 

Et puis un jour, au fil de mes pérégrinations numériques en quête d’un modèle d’apprentissage plus satisfaisant (il faut dire que j’avais maintenant trois enfants à qui je souhaitais offrir une éducation respectueuse et enthousiasmante), je suis tombée sur les écoles démocratiques. Le modèle était encore tout neuf en France, à peine quelques années pour les premières (mais plus de 100 pour la plus ancienne en Angleterre) et celles de Rennes allaient seulement ouvrir quelques mois plus tard. 

Nous avons profité de cette période d’attente pour évoquer le sujet en famille. Répondait-il à nos valeurs ? Étions-nous prêts à changer si radicalement de système ? Au-delà du fait que la discussion a été assez fluide et la réponse assez évidente pour nous tous, la vie a généreusement mis sur notre chemin à cette époque des personnes et des lectures qui ont achevé de nous convaincre. La rencontre avec les fondatrices de l’école Noèsis en fait clairement partie : enfin, nos enfants allaient être considérés comme des personnes à part entière et être respectés dans leurs individualités. 

Malgré le projet de voyage dont le départ était fixé en cours d’année scolaire, nous avons choisi de ne pas repousser l’expérience, chaque mois passé à s’écouter vraiment nous semblant un mois de gagné. L’aventure de l’école démocratique avait commencé. 

Mais c’est quoi, au juste, une école démocratique ? 
Le modèle démocratique, inspiré de l’école anglaise Summerhill d’abord, puis de la Sudbury Valley School américaine, se fonde sur la conviction que l’enfant apprend spontanément et naturellement, dès lors qu’on le laisse libre de suivre ses aspirations. En outre, ces écoles pratiquent le multi-âge, car il est notoire que les enfants apprennent surtout de leurs pairs, et des interactions qui régissent leurs relations. Enfin, ces écoles sont dites « démocratiques » parce que leur gouvernance est partagée entre tous leurs membres, adultes et enfants, lesquels décident collectivement des règles et autres choix qui structurent l’organisation collective. Enfants et adultes y expérimentent donc une très grande liberté, encadrée par des règles d’autant plus assumées par les membres, qu’ils ont la possibilité de faire évoluer ce cadre pour répondre à leurs besoins. 

Pour simplifier, dans une école démocratique, on fait à peu près ce qu’on veut, du moment que l’on respecte l’autre et la règle. Dans une école démocratique, toute activité est source d’apprentissage et il n’y a pas de hiérarchisation de ces apprentissages. Dans une école démocratique, on a tous la même valeur et le même pouvoir. Dans une école démocratique, on apprend que liberté rime avec responsabilité et qu’il est de la responsabilité de chacun de garantir l’équilibre collectif. 

Des quelques mois passés à Noèsis, les enfants ont tiré une grande paix, une confiance en eux, et un respect mutuel fortement accru. De tels changements en si peu de temps m’ont paru fantastiques et ont achevé de me convaincre qu’il était bien plus important pour moi que mes enfants développent ces compétences d’être, ces qualités humaines, plutôt qu’apprendre - par cœur, mais à contrecœur - des cours dénués pour eux de sens et d’intérêt. Surtout, dans cette ère numérique où les connaissances théoriques sont accessibles à tous ceux qui veulent se donner la peine de les chercher et où les opportunités d’expérimenter tout un tas de compétences pratiques sont en revanche bien trop rares. 

Alors oui, Alexandre était déjà en 4è quand il a intégré Noèsis, et oui, selon les critères sociaux en vigueur, sa scolarité se passait bien. Mais de mon point de vue, ce n’était pas « bien » que de voir cette personne si riche de sensibilité, si curieuse de tout et si naturellement ouverte, rentrer petit à petit dans les cases que l’on voulait bien lui assigner (bon élève, bon copain, gentil garçon), au risque de passer totalement à côté de ses envies propres et de son instinct. 
Mael, de son côté, avait atteint le seuil limite de la scolarité traditionnelle au-delà duquel il ne serait plus possible d’accepter son besoin d’apprendre par séquences longues (plusieurs semaines), d’aller au bout de son intérêt pour un sujet avant de passer au suivant. 
Quant à Jeanne, elle n’aura jamais connu cette expérience de formatage de masse, le concept de liberté lui est une évidence, tout comme celui de responsabilité. Elle respecte les règles parce que les règles lui font sens, elle sourit et dis bonjour parce qu’elle en a vraiment envie et prête ses jouets par sincère générosité. 

Forts de cette expérience scolaire, puis de l’observation de nos enfants et de leurs apprentissages pendant le voyage, il nous a semblé évident de répondre favorablement à leur demande de retrouver ce collectif qui leur a déjà tant apporté et dont ils sentent intuitivement qu’il les nourrit plus encore que tous les voyages et visites que nous pourrons leur proposer. 

Et puis au passage, comme c’était sur la route du retour, nous nous sommes offert le luxe d’aller voir ailleurs si on y était aussi bien : nous avons visité deux autres écoles démocratiques, qui nous ont toutes les deux enthousiasmés et nous ont apporté la preuve que ce modèle est juste et pertinent, indépendamment de l’expérience unique que nous avions vécu jusque là. 
À l’école Créactive de Montauban, nous avons particulièrement aimé la journée en Forest School, qui permet l’émergence de nombreuses activités spécifiques et surtout d’une ambiance particulièrement harmonieuse et fluide. A l’école Pleine Nature de Saint-Girons, nous avons été conquis par la qualité des locaux, spacieux, lumineux, diversifiés, propices à susciter l’envie et le plaisir d’expérimenter. Au sein de ces deux collectifs, nous avons été touchés par-là bienveillance ambiante entre jeunes, et par l’envie des enfants de faire vivre leur école de façon agréable et pérenne. Enfin, les deux équipes rencontrées nous ont rappelé à quel point certains sont prêts à donner d’eux-mêmes pour offrir aux enfants, tous les enfants, une éducation respectueuse de ce qu’ils sont : de fantastiques personnes, drôles, créatives, riches de si belles compétences et qualités... 

Aujourd’hui, je peux donc dire que je suis plus qu’heureuse d’avoir mis de côté mes peurs liées à la fameuse réussite (scolaire, professionnelle, sociale), pour garder en tête que ma priorité est que mes enfants grandissent en étant épanouis et libres d’être eux-mêmes. L'état écologique et humain de notre planète tend à montrer que notre société est en train de se suicider à petit feu. Il semblerait que nous soyons tous endormis par le confort matériel dans lequel nous baignons et incapables de prendre les mesures vitales qui s’imposent. Je crois dès lors que nos enfants ont, plus que jamais, besoin de réapprendre à réfléchir sans contrainte, et besoin de s’affranchir de la bien pensance pour être à même d’inventer les solutions dont nous avons tant besoin. Seuls l’amour, l’envie et la motivation profonde seront des moteurs suffisants à dépasser la peur de l’échec et la peur de l’inconnu qui nous attend inévitablement. 

PS : Ce choix pédagogique n’était pas un petit choix, il a été perturbant, nous a forcé a beaucoup nous remettre en question, mais nous a aussi permis de nous sentir en totale adéquation avec les valeurs au sein desquelles nos enfants évoluent chaque jour. Pour autant, je suis bien consciente que c’est un choix qui questionne, voire qui semble à certains totalement irresponsable. Je n’ai pas de problème avec ces différences de points de vue et suis totalement ouverte à en discuter avec vous, soit parce que le modèle vous attire soit au contraire parce qu’il vous révolte. J’aurai plaisir à répondre le mieux possible à toutes les questions qui vous viennent et je ferai en sorte de partager ma vision avec un maximum de recul et d’objectivité. 

Pour aller plus loin :
Libre pour apprendre de Peter Gray
Jouer / Et pourtant je ne suis jamais allé à l’école d’André Stern
Pourquoi j’ai créé une école où les enfants font ce qu’ils veulent de Ramin Farhangi
L’école de la liberté de Daniel Greenberg
Les apprentissages autonomes de John Holt
Libres enfants de Summerhill de Alexander S. Neill




































6 commentaires

  1. Merci de la générosité une fois encore du propos ! Nous poursuivons nos reflexions nourries entre autre,avec bos échanges... Belle écriture sur page blanche à vous cinq ! Bisette camargaise des Dezagenzig

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    1. Bonjour Cathy ! Merci pour ce message. On se tient au courant de nos évolutions respectives...

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  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  3. Personally ca me donne surtout envie de demenager...du coup ils sont dans la quelle? En unschooling depuis 10 ans lecole democratic me plait enormement. C est prive? Est ce cher?

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